Transition énergétique : Écocamionnage réactivé
Québec vient de remettre sur roues le programme Écocamionnage avec une enveloppe de 145,4 millions de dollars pour les trois prochaines année en date du 2 décembre.
"Nos représentations soutenues auprès du ministère ont porté leurs fruits", a souligné Marc Cadieux, président-directeur général de l'Association du Camionnage du Québec dans un communiqué émis le jour même de l'annonce. " Réduire notre empreinte carbone, c'est dans l'ADN même du camionnage et sa volonté de s'inscrire dans son temps."
Même écho positif chez Propulsion Québec où Alexis Laprés-Paradis, PDG intérimaire soulignait également dans un communiqué de presse: « Le retour d’Écocamionnage envoie enfin un signal clair. Les transporteurs sont prêts à investir et les solutions sont disponibles. Cette relance donne l’élan nécessaire pour réduire les émissions tout en renforçant la compétitivité des entreprises »
Du côté plus négatif, la même organisation souligne que le volet axé sur les projets collaboratifs a été effacé et que les montants ont été plafonnés à 150 000 $ pour l'achat d'un véhicule de classe 8 au lieu de 175 000 $. De plus, les véhicules de classe 2 b ne seront couverts qu'au maximum de 25% du prix du véhicule et que les montants accordés fondront de 5 000 $ à 0 $ par année sur trois ans.
Le milieu de l'électrification des transports s'inquiétait des récentes décisions des gouvernements de Mark Carney et François Legault, décisions qui selon l'industrie entraîneront un recul important des efforts pour réduire les émissions de GES.
Le récent budget d'Ottawa donne une large place au développement des énergies fossiles, tout en restant flou sur l'avenir des programmes d'incitatifs pour les véhicules zéro émission. Québec, de son côté, annonce le transfert de 1,8 milliard de dollars du Fonds vert au Fonds des générations.
Un virage qui inquiète toute l’industrie
Ces derniers mois, les acteurs de l’électrification du transport au Canada constataient un net ralentissement politique. Au fédéral, le gouvernement de Mark Carney présente un budget 2025 qui mise davantage sur les énergies fossiles et l’exploitation des minérauxcritiques que sur un soutien clair aux véhicules zéro émission. À Québec, l’administration Legault confirme le transfert de 1,8 milliard de dollars du Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) vers le Fonds des générations, créant une onde de choc dans tout l’écosystème du transport lourd électrique.
Ce montant, pourtant entièrement financé par le marché du carbone et destiné exclusivement à la lutte contre les changements climatiques, devait soutenir des programmes essentiels comme Écocamionnage, qui aura été suspendu plus d’un an. Pour plusieurs organisations, il s’agit d’un recul stratégique majeur.
« Si des surplus du FECC sont transférés, ils doivent servir uniquement à la lutte aux changements climatiques incluant l’électrification des transports. Ce ne sont pas des dépenses qu’on cherche à protéger, mais des investissements qui transforment notre économie et créent de la valeur durable pour les générations futures », rappelle Alexis Laprés-Paradis, PDG par intérim de Propulsion Québec.
Daniel Breton, président de Mobilité Électrique Canada, va plus loin. Selon lui, parler de « surplus » dans le FECC est trompeur : « Plusieurs programmes déjà annoncés sont sur la glace depuis des mois à cause de fonds bloqués volontairement. Il n’y a donc pas de surplus. »
Québec : blocage des fonds, incertitude et projets en suspens
Depuis l’arrêt du programme Écocamionnage en septembre 2024, les entreprises du transport et de la livraison multipliaient les mises en garde. Propulsion Québec, l’Association du camionnage du Québec (ACQ) et plusieurs transporteurs ont réclamé, encore une fois en novembre, la relance immédiate du programme, jugeant la situation préoccupante. Ils ont été finalement entendus.
Les impacts de ce gel du financement de la transition se faisaient sentir partout dans l’industrie et fragilisent les chaînes d’approvisionnement, estime Alexis Laprés-Paradis de Propulsion Québec. Selon lui, les effets de la suspension du programme Écocamionnage étaient perceptibles sur le terrain : baisse de camions électriques achetés, projets reportés et, concrètement, moins de véhicules zéro émission sur les routes du Québec.
Plusieurs témoignages d’entreprises comme Nationex, Intelcom, GLS, Peterbilt Canada ou Globocam se rejoignent : sans vision claire, impossible de planifier les investissements.
Ottawa : un budget qui entretient le flou
Au niveau fédéral, le budget Carney 2025 comporte, à première vue, plusieurs signaux encourageants : soutien aux minéraux critiques, accélération de l’amortissement des véhicules zéro émission, promotion des technologies propres et politique « Achetez canadien ». Cependant, Ottawa n’a pas confirmé le retour de deux programmes structurants : les incitatifs pour les véhicules zéro émission (iVZE) et le Programme d’infrastructure pour véhicules à émission zéro (PIVEZ).
Pire encore, le programme d’incitatifs pour les véhicules moyens et lourds zéro émission (iVMLZE) doit disparaître en 2026 sans qu’aucun plan clair de remplacement n’ait été annoncé.
« Cet engagement envers le transport propre manque de clarté sur la mise en œuvre. Il est essentiel d’obtenir davantage de précisions afin que tous les Canadiens puissent réellement en bénéficier », souligne Daniel Breton dans sa réaction au budget fédéral.
Un momentum fragile, un choix politique urgent
En entrevue, Daniel Breton rappelle que ces revirements politiques à Ottawa et à Québec ne sont pas sans précédents. Les crises économiques ont souvent repoussé au second plan les enjeux environnementaux.
« Sortir du modèle économique basé sur les énergies fossiles crée des frictions importantes. Il y a des gens qui feront tout pour retarder l’inévitable », dit-il.
Et la pression négationniste des États-Unis de Donald Trump pourrait selon lui entrainer un arrêt complet des développements de véhicules électriques légers et lourds en Amérique du Nord, au profit notamment de la Chine qui continue de placer ses pions sur l’échiquier mondial du VÉ.
« Il y a des gens dans les véhicules légers qui veulent tout démanteler parce qu’ils veulent s’aligner sur Donald Trump, ce qui serait selon moi une erreur historique. S’il fallait que le Québec et le Canada suivent la voie des États-Unis, l’industrie de l’électrification des transports et de l’automobile vont être annihilées. Les Chinois et les Coréens vont prendre le dessus et on va se retrouver à importer des véhicules, importer des technologies. Ce serait une erreur extrêmement grave. On était en mode rattrapage depuis quelques années, et arrêter à ce moment-ci, c’est la pire décision qu’on pourrait prendre. »
Au fédéral, des discussions sont en cours pour assurer une forme de pérennité aux investissements dans l’électrification, autant pour les véhicules que pour les infrastructures. Mais le milieu sait que la bataille politique est loin d’être gagnée.
Le Québec et le Canada ont passé les dernières années à rattraper leur retard en électrification du transport. Les entreprises ont investi massivement dans des bornes, des usines, des projets pilotes et des chaînes de valeur industrielles. Reculer maintenant mettrait à risque toute cette filière.
« On est à la croisée des chemins. Le gouvernement doit prendre une décision claire », conclut M. Breton.


