Des camions hors du commun équipés pour sauver des vies
Qui n’a pas été fasciné, durant son enfance, par les véhicules d’incendie, avec leur couleur flamboyante, leurs chromes et lumières rutilants et cette aura de véritables héros qui accompagne les sapeurs-pompiers ?
Si on voit encore aujourd’hui des véhicules dignes de musées circuler sur nos routes et dans les casernes étincelantes de propreté, les camions de pompiers ont connu, au fil des ans, une évolution et parfois même des révolutions. Flottes et Mobilité s’est intéressé à ces véhicules qui sont tout sauf ordinaires.
Chez Rob Anselmi, chef de division entretien mécanique, gestion des équipements et actifs au service d’incendie de la Ville de Toronto, cette fascination s’est transformée en véritable vocation. Depuis près de quatre décennies, il s’occupe de l’achat de véhicules pour le plus important service d’incendie au pays.
« J'exerce ce métier depuis 37 ans maintenant. J'ai commencé avant la fusion de six villes pour former Toronto. J'ai débuté à Etobicoke, à l'ouest de la grande ville. C'était un petit service de pompiers avec 12 casernes. Dès mon arrivée, je travaillais sur ces petits camions de secours miteux, équipés de moteurs à essence et de carburateurs à pointe. Nous avions des camions à cabine ouverte, avec transmission manuelle, etc. »
Pour lui, le plus grand changement au fil des ans, c’est l’arrivée de camions conçus dès le départ pour répondre aux besoins spécifiques de la lutte contre les incendies.
À ses débuts, les véhicules d’urgence étaient construits à partir d’un camion moyen ou lourd standard, auquel on ajoutait les équipements nécessaires pour le travail : pompes, échelles, etc. Aujourd’hui, si les services d’incendie de petites municipalités peuvent encore opter pour cette solution, les grandes villes comptent sur des équipements conçus sur mesure, à partir d’un châssis brut. S’il souligne que des fabricants comme Mack faisaient d’excellents camions, il note qu’un camion d’incendie doit pouvoir durer de 15 à 20 ans, alors que les camions commerciaux ont une vie utile de cinq à sept ans.
Mais pour lui, la plus importante révolution, particulièrement pour le travail des pompiers, c’est l’arrivée des cabines entièrement fermées.
« En 1952, Smeal avait un camion-échelle à cabine fermée, le premier jamais construit. Et pourtant, 30 ans plus tard, on roulait toujours avec des camions à cabine ouverte. Je n’ai jamais compris pourquoi ils ne mettaient pas un toit sur les camions d’incendie! Mais finalement, Lafrance a commencé à construire des camions de pompiers avec un toit… Wow, quel concept ! »
Ce changement important est aussi accompagné avec des cabines plus confortables, plus sécuritaires, plus silencieuses, et mieux conçues pour le travail des pompiers.
Les hauts et les bas de la technologie
Tout comme l’ensemble des véhicules commerciaux et industriels, les camions de pompiers ont suivi l’évolution des technologies véhiculaires, notamment avec l’arrivée d’une foule de systèmes électroniques. Mais au-delà des composantes des groupes motopropulseurs et des systèmes liés à la conduite du véhicule, la modernisation des systèmes opérationnels des véhicules d’incendie a apporté de nombreux bienfaits. C’est le cas, notamment, des systèmes de contrôle des échelles et de stabilisation des camions.
« Les échelles aériennes d'origine étaient équipées d'un cric manuel. Il fallait le poser au sol et le tourner comme une grosse vis. Aujourd'hui, le système est entièrement électronique et hydraulique. Il suffit d'appuyer sur un bouton pour déployer les stabilisateurs et mettre le camion à niveau en 30 secondes. Ce n'est pas seulement génial, c'est un bien meilleur système, beaucoup plus rapide où la pression sur chaque cric est adéquate et l'utilisateur peut appuyer sur ce bouton pour faire autre chose, comme se préparer à lever l'échelle. »
Les contrôles électroniques ont aussi rehaussé la sécurité lors de l’opération des échelles, en termes de capacité de celles-ci à supporter un poids selon l’angle auquel elles sont déployées. Alors que la limite de charge, ou charge de pointe, était autrefois établie à partir d’une mesure avec l’échelle à l’horizontale, les fabricants nord-américains ont adopté la norme européenne de contrôle de l'enveloppe, qui évalue constamment la capacité de l’échelle selon l’angle.
« Plus important encore, le camion vous avertit lorsque vous sortez de cette position, alors qu'auparavant, c'était presque une devinette. Les anciens modèles étaient équipés d'un dispositif qui mesurait la pression hydraulique, vous indiquait si vous sollicitiez trop l'échelle et déclenchait un klaxon. Presque tous les modèles sont maintenant dotés de fonctionnalités qui vous empêcheront de commettre une bêtise et de renverser une échelle. »
D'autant plus important, souligne Rob Anselmi, qu’il n’existe aucune certification officielle requise pour manœuvrer une échelle de camion de pompier. Mais notre expert en véhicules d’incendie ajoute que dans certains cas, l’intégration de contrôles électroniques va un peu trop loin.
« L'électronique et les fonctionnalités de ce genre sont formidables, mais utiliser une pompe est une expérience très tactile. On a un gros tuyau d'eau qui entre, un gros tuyau qui sort ; on sent quand on actionne la vanne, les tuyaux d'admission, ou quand on est sur le point de manquer d'eau, et on le sent au bruit du camion. Les systèmes actuellement installés dans les camions sont entièrement électroniques et ressemblent à un iPad sur le côté.
Ces contrôles électroniques peuvent donc fausser la perception quant à la quantité d’eau déversée sur un foyer d’incendie.
« Les buses d’incendie sont désormais de très bonne qualité. Même avec une alimentation en eau bien réduite, le jet d'eau semblera bon, car la buse compense. Mais le débit est loin d'être suffisant. Donc, si vous ne lisez pas un indicateur de débit pour connaître la pression en kilopascals, vous ne le savez même pas. »
Pour Rob Anselmi, si la plupart des innovations technologiques sont intéressantes et peuvent aider à sauver des vies et sont parfois exigées par l’organisme nord-américain qui régit les équipements de lutte contre les incendies, la National Fire Protection Association, il demeure un fervent partisan de la simplicité.
Des camions rutilants, mais des outils avant tout
Qu’on soit dans une petite municipalité ou une grande ville, les camions de pompiers continuent de déclencher une véritable fascination, que ce soit chez les tout-petits ou chez les plus grands. Présents lors d’évènements, défilés ou festivals, le chrome, les couleurs, les lumières et l’impressionnante batterie de jauges, valves et boyaux attirent l’œil. Mais au-delà du look, Rob Anselmi rappelle qu’ils sont d’abord et avant tout un une boîte à outils conçue pour sauver des vies.
« Si un politicien me demande un jour : « Pourquoi ne pas économiser de l’argent et rendre votre camion moins joli ? », je lui répondrais : « Montrez-moi n’importe quoi sur ce camion et je vous dirai pourquoi il est construit de cette façon et pourquoi il ressemble à ça. »
Un peu plus haut, un peu plus loin
En 2021, la Ville de Toronto a fait l’acquisition au coût total de 3 millions dollars, d’une nacelle de sauvetage télescopique F230RPX Bronto, d’une hauteur maximale de 230 pieds ou 70 mètres, soit l’équivalent d’un immeuble de 20 étages. Construite en Finlande et installée au Québec par 1200˚ TECHNO FEU, cette nacelle était, au moment de sa livraison, la plus haute en Amérique du Nord, loin devant la deuxième plus haute qui n’atteignait que 135 pieds. Pourquoi une telle acquisition ?
« En plus d'être le camion le plus cool de la planète, c’est sa grande portée qui impressionne », nous dit Rob Anselmi. « Toronto est une ville où les immeubles de grande hauteur sont omniprésents. Nous en sommes arrivés à un point où nous ne mesurons plus seulement le temps écoulé entre un appel de la station jusqu’à l’adresse, mais aussi le temps nécessaire pour se rendre de l'adresse au lieu de l’intervention, en hauteur. »
Et, au-delà de sa portée verticale, c’est aussi sa portée horizontale qui en fait une pièce d’équipement de valeur. La nacelle peut, en effet, atteindre un emplacement situé à 70 pieds de distance, même à une hauteur de 160 pieds. Comme le camion ne peut pas toujours se rendre près d’un immeuble, cette portée lui permet de rejoindre des endroits qu’aucune autre nacelle ne pourrait approcher. Construit sur un camion Mack de cinq essieux, ce véhicule est, nous dit Rob Anselmi, pratiquement plus facile à conduire qu’une échelle aérienne normale.
Une industrie canadienne solide
Si le Canada ne compte aucun fabricant de châssis de camion d’incendie (la partie véhicule en lui-même), le pays peut s’enorgueillir de plusieurs entreprises qui fabriquent ou distribuent et assemblent le produit final.
Au Québec seulement, il convient de mentionner des entreprises comme les Véhicules d’urgence Carl Thibault, dont les origines remontent à plus de 100 ans, MAXIMETAL, qui fait depuis 2022 partie du groupe Oshkosh, 1200 degrés, qui regroupe les entreprises Techno Feu, Boivin & Gauvin et 1200 Degrees Ontario, et les Industries Lafleur. En Ontario, un des leaders au pays est Dependable emergency vehicles, de Brampton, tandis que dans l’ouest, Fort Garry Fire Trucks dessert le Canada et même les États-Unis à partir de ses installations à Winnipeg au Manitoba, tandis que Safetek Profire, basée en Colombie-Britannique, offre ses produits d’un océan à l’autre. S’ajoutent à ces fabricants et installateurs de nombreux fournisseurs partout au pays.