Les répercussions de l’électrification sur le remorquage de camions lourds
Même s’ils sont peu nombreux à sillonner les routes du Canada, les camions électriques sont une réalité dont il faut désormais tenir compte. Et comme tous les véhicules, ils ne sont pas à l’abri d’un bris ou d’un incident. Leur remorquage, toutefois, exige un service spécialisé puisque l’opération comporte son lot de complexité.
À l’heure actuelle, ces poids lourds silencieux ne représentent qu’un infime pourcentage des interventions effectuées par Remorquage Météor, précise Serge Landry, copropriétaire et formateur pour l’Association des Professionnels du Dépannage du Québec (APDQ) et WreckMaster. L’entreprise familiale compte 54 dépanneuses et couvre un vaste territoire qui s’étend du Québec aux États-Unis, en passant par l’Ontario. Ses unités, dotées d’un équipement de grutage à l’arrière, tractent habituellement entre 40 et 50 tonnes.
Les quelques camions munis de cette motorisation « rarissime » obligent toutefois les opérateurs de dépanneuse à redoubler d’attention. Pour éviter les erreurs, M. Landry enseigne la méthode SCÈNE. Le S renvoie à l’importance de scruter pour évaluer la situation. Le C porte sur le calcul de la résistance et de la capacité réelle de la remorqueuse. Le E rappelle la nécessité d’expliquer la procédure aux intervenants. Le N, pour les « non-non », concerne les vérifications serrées des points d’attache. Le dernier E correspond à l’exécution, lorsque tout est sécurisé.
Au même titre que les véhicules de promenade, les camions qui carburent aux électrons devraient idéalement être hissés sur une plateforme pour éviter que les roues touchent au sol et risquent d’endommager les composants électriques. Or, il n’existe aucune dépanneuse à plateau pour les poids lourds. « On pourrait toujours les embarquer sur un fardier, mais avec leurs déflecteurs, ils sont beaucoup trop hauts. Ils ne passent pas sous les ponts », explique M. Landry. À défaut de pouvoir les transporter, il ne reste plus qu’une seule option : les tirer.
Procédure sous haute tension
Bien que plus simple et rapide à exécuter, le remorquage par l’arrière ne convient pas à tous les camions et n’est pas recommandé pour les variantes électriques. La procédure inverse nécessite quant à elle des étapes supplémentaires pour préserver l’intégrité des moteurs. Il faut d’abord alimenter en air le véhicule en panne pour relâcher les freins. Cette pratique exige une certaine adaptation, « puisqu’encore une fois, comme dans l’automobile, “la mise au neutre”, autrement dit, diffère d’un modèle à l’autre », indique M. Landry.
Ce manque de standardisation influe sur la sécurité des opérateurs, dans la mesure où ils doivent parfois faire des manœuvres auxquelles ils ne sont pas habitués. Il cite l’exemple des Volvo 2025 où l’alimentation en air se fait directement sur le séchoir (Air Dryer) situé sous le camion. La procédure libère instantanément les freins, sans que personne n’ait à grimper dans la cabine pour appuyer sur le bouton-poussoir qui assure normalement cette tâche. Il est donc essentiel de barrer les roues du véhicule avec des blocs, car il pourrait bouger lors du retour d’air. Selon le modèle de camion et le type de différentiel, le remorqueur devra ensuite enlever l’arbre de transmission ou les essieux.
En ce qui concerne les équipements de protection individuelle, ils sont sensiblement les mêmes que ceux utilisés pour venir en aide aux VÉ, malgré le voltage plus élevé des poids lourds. « Les gants de grade zéro sont évidemment de mise », explique Yves Racette, directeur du développement des programmes chez NAPA et Traction, car « on ne sait pas si le véhicule a subi une perte d’isolation ». Les lunettes de protection s’avèrent un accessoire indispensable quand arrive le moment de retirer les extensions de cabine. Puisque ces « pièces ne sont pas nécessairement solides », M. Landry recommande de les enlever lorsque le camion est tracté par l’arrière. Il ajoute qu’il est aussi possible d’essayer de les attacher pour les sécuriser. Sinon, tel un parachute grand ouvert, elles créent une résistance et risquent de s’abîmer, sans compter que la dépanneuse verra sa consommation de carburant augmenter pour contrer ce phénomène. Un profit direct qui s’évapore, insiste M. Landry.
Contraintes et défis
La procédure se complique davantage lorsqu’un camion se retrouve dans un fossé ou impliqué dans un accident. Dans ces situations, l’opérateur doit prendre le temps de comprendre la mécanique du véhicule avant d’intervenir. « Une des premières choses à faire, voire avant d’arriver sur les lieux, c’est de consulter le guide de mesures d’urgence du fabricant, pour savoir quoi faire pour désamorcer partiellement le système électrique ou même procéder au remorquage », explique Stéphane Ruel, conseiller en formation opérations routières CAA-Québec.
Cette pratique, qui n’est pas encore ancrée dans les habitudes des professionnels du remorquage, s’avère tout aussi pertinente dans le monde du camionnage, croit-il. De plus, certains véhicules exigent un délai d’attente avant toute manipulation. La communication avec les premiers répondants revêt, de surcroît, une importance capitale, insiste M. Ruel, pour sécuriser le périmètre, partager l’information disponible et limiter les risques pour tous.
À ces contraintes se greffent d’autres défis propres à ces véhicules. Les dangers liés à l’emballement thermique lors de l’entreposage et les zones d’impact soulèvent encore des interrogations. Sur les camions électriques, les batteries occupent fréquemment l’espace où se trouvait autrefois le réservoir de carburant. « Dans une mise en portefeuille, tout vient s’accoter dans cette zone », note le copropriétaire de Remorquage Météor.
La complexité accrue des véhicules et l’évolution rapide des technologies forcent les opérateurs de dépanneuses au Québec à maintenir leurs connaissances à jour. « On ne peut pas faire du towing comme on le faisait il y a 20 ans. Ce n’est plus la même game », affirme M. Ruel. Si le secteur ne dispose d’aucun cursus officiel, le Centre de formation en transport de Charlesbourg (CFTC) et le Centre de formation du transport routier de Saint-Jérôme enseignent la base du métier. Ces compétences peuvent être approfondies par les programmes dispensés par CAA-Québec, l’APDQ ou WreckMaster.
M. Racette souligne qu’il ne faut pas non plus sous-estimer l’apport de l’entretien préventif. Il considère qu’une grande part des bris résulte d’un manque de suivi. « On a maintenant accès à des données qui nous permettent de contrer certaines problématiques », et ainsi réduire les risques d’immobilisation. Il soutient que le Programme d’entretien préventif (PEP) constitue une base solide, mais il se questionne quant à l’étendue des inspections actuelles sur les spécimens propulsés par les électrons, notamment pour tout ce qui a trait au système haute tension.
Même s’ils restent marginaux, les poids lourds électriques amènent leur lot de défis. Les interventions demandent plus de préparation, plus de connaissances et plus de prudence. Les opérateurs de dépanneuse composent désormais avec un environnement en transformation et des technologies qui exigent, plus que jamais, une expertise accrue.


