Dans l’œil du froid : 14 véhicules sous la loupe lors de la première édition canadienne de la Virée électrique CAA hivernale
Avec des températures oscillantes entre -7 et -10 °C, quatorze véhicules électriques (VE) ont pris la route entre Ottawa et Mont-Tremblant pour la première Virée électrique CAA. Parmi la sélection, on retrouvait sept des dix modèles les plus populaires au pays, tels que le Hyundai Ioniq 5, le Toyota bZ4X et la Polestar 2. Le parcours s’échelonnait sur une distance de 423 kilomètres. Le choix de cet itinéraire n’est pas anodin, explique Pierre-Serge Labbé, vice-président mobilité chez CAA-Québec: « On voulait avoir des destinations qui parlent à tous les Canadiens. » Deux lieux touristiques prisés qui, en plus d’offrir de charmants paysages, sont séparés par une diversité de routes au dénivelé variable.
Cette initiative nationale de CAA avait dans sa mire un objectif ambitieux: analyser l’écart entre l’autonomie annoncée par Ressources naturelles Canada (RNC) et la consommation réelle par temps froid, en siphonnant l’énergie de chaque spécimen jusqu’à son dernier électron, pour ensuite le ressusciter sur une borne en courant continu de 350 kWh afin d’éprouver ses aptitudes de recharge.
L’impact du froid sur les VE est un secret de polichinelle, il n’en demeure pas moins que l’anxiété liée à l’autonomie arrive en tête des préoccupations pour bon nombre de propriétaires et d’acheteurs potentiels. « Nous voulions tester ces véhicules sur le terrain, non seulement pour recueillir des données utiles, mais aussi pour briser certains mythes entourant les VE en hiver et rassurer les consommateurs », explique M. Labbé. « La vitesse de recharge constitue également un facteur important. Un VE peut avoir moins d’autonomie, mais s’il emmagasine rapidement l’énergie, ça devient plus intéressant. » Un critère pertinent pour les gestionnaires de flottes, puisque le temps d’arrêt a des répercussions directes sur l’efficacité globale des opérations.
Des résultats contrastés
Sur une période de quinze minutes, la moyenne d’autonomie récupérée se situait à 108 km. La Tesla Model 3 remporte la palme avec 205 km tandis que le Toyota bZ4X fait piètre figure avec son maigre 19 km. Sa recharge de 10 % à 80 % aura, quant à elle, exigé plus d’une heure et demie d’immobilisation (92 minutes), reléguant l’unique utilitaire du constructeur nippon au bas de la liste, avec, comme plus proche rival, le Kia Niro EV (77 minutes), plus rapide d’un quart d’heure à la borne. Les Kia EV9 (33 minutes), Volkswagen ID. 4 (34 minutes) et Tesla Model 3 (37 minutes), se situent, pour leur part, en tête du classement.
Sous ces conditions hivernales, les véhicules ont en moyenne perdu un peu moins du tiers (27 %) de leur autonomie par rapport aux estimations de RNC. Le Volvo XC40 Recharge et le Toyota bZ4X ont terminé l’exercice en queue de peloton avec -39 % et -37 % respectivement, talonnés par le Ford F-150 Lightning (-35 %) et le Chevrolet Equinox EV (-34 %). À l’inverse, des modèles tels que la Polestar 2 et le Chevrolet Silverado EV ont mieux tiré leur épingle du jeu. Avec un faible écart de -14 %, ils dominent le classement et devancent allégrement leurs comparses qui se retrouvent dans les tranches supérieures (Kia EV9 et Volkswagen ID.4: ex æquo avec -20 %, suivis par le Honda Prologue: -24 % et le Hyundai Ioniq 5: -25 %).
Dans son livre 50 Mythes et Demi-Vérités sur les Véhicules Électriques, Daniel Breton indique que « les véhicules électriques plus récents perdent généralement de 10 % à 30 % d’autonomie entre 0 et -25 degrés Celsius ». Un rapport de synthèse sur les camions électriques, publié par l’Institut du véhicule innovant (IVI) en novembre 2024, abonde dans le même sens: « L’autonomie durant la saison hivernale est en moyenne 34 % inférieure à celle annoncée par le constructeur — les mois les plus défavorables pour l’autonomie des camions électriques étant décembre, janvier et février. » Mais il souligne au passage qu’« il est [aussi] relativement facile de dépasser l’autonomie annoncée par le fabricant entre les mois de mai et octobre. »
M. Labbé indique que les températures extrêmement chaudes affectent tout autant l’autonomie que les grands froids: « En parlant avec des collègues du AAA, j’ai appris que c’est exactement la même chose quand il fait 40 degrés à Phoenix, en Arizona. À cause de la climatisation et de la chaleur, la batterie se décharge tout comme en hiver. On va peut-être avoir éventuellement des données par rapport à ça. »
Depuis quelques années, l’ajout de dispositifs comme le préchauffage à distance, la pompe à chaleur, les sièges et le volant chauffant, de même que le système de préconditionnement en prévision d’une recharge rapide, aide à préserver l’autonomie, mais ils ne suffisent pas toujours à compenser l’effet du froid. Des facteurs externes, tels que la condition de la chaussée (une route verglacée ou enneigée réduit l’adhérence des pneus), le dénivelé, la baisse de pression des pneus par temps froid – qui augmente la résistance au roulement – viennent, eux aussi, grossir la liste d’éléments qui grugent les précieux kilométrages en banque.
La Norvège, source d’inspiration
M. Labbé confesse que l’idée d’une Virée électrique canadienne a germé après qu’il ait participé, l’an dernier, à un test semestriel d’autonomie et de recharge de véhicules électriques organisé depuis cinq ans par le NAF (Norges Automobil-Forbund) - un organisme norvégien membre de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA). « C’était extrêmement intéressant. À mon retour, j’ai proposé au club canadien de faire quelque chose de semblable ici pour mieux nous positionner en ce qui concerne les VE. » Bien que plus avancé en matière d’électromobilité, ce pays scandinave possède de nombreuses similitudes avec le Canada, mais surtout avec le Québec, notamment sur le plan du climat.
S’inspirant du modèle norvégien, l’équipe nationale a amorcé la mise en place du projet à l’automne. Un exercice complexe réalisé en à peine quelques mois. « À la dernière minute, on a décidé d’équiper les véhicules d’une unité télématique Geotab. Ce n’était pas tant pour recueillir des données sur les véhicules, que pour connaître leur position au moment où ils tomberaient hors service », note M. Labbé.
« Nous avons appris énormément, en particulier sur le plan de la logistique. Avoir des véhicules chargés à bloc, propres, prêts à partir a exigé beaucoup de coordination, de même que nous assurer que tout le monde était en sécurité quand le véhicule n’aurait plus d’énergie pour continuer sa route. »
L’étape du remorquage comportait aussi son lot de difficultés, car une fois leur batterie à plat, les modèles ne réagissent pas tous de la même façon. Certains vont jusqu’à barrer les portières, enclencher automatiquement le frein à main et verrouiller le capot, ajoutant une touche de complexité au processus. « Nous avons un guide technique à l’interne pour les patrouilleurs, mais nous avons réalisé qu’il est incomplet. Le premier devoir que je vais faire avec mon équipe sera d’y inclure les informations recueillies lors de notre test afin d’avoir toutes les connaissances pour que la procédure prenne le moins de temps possible. »
Nul doute que tous les acquis bénéficieront aux éditions futures, bien qu’une Virée pour l’an prochain n’ait pas encore été confirmée au moment de publication. Advenant qu’une seconde mouture prenne forme, « nous voudrions aller plus loin en analysant, par exemple, la vitesse résiduelle des véhicules après que leur batterie soit déchargée. Car même à 0 %, ils peuvent continuer à rouler sur quelques kilomètres, à faible allure en mode “ tortue ”, laissant le temps au conducteur de sortir de la circulation en toute sécurité. Nous aimerions aussi obtenir des informations sur la réactivité de la batterie (recharges/décharges) lors des montées et descentes. » Ces données pourraient aider à mieux comprendre le comportement des VE dans des environnements où le dénivelé est plus prononcé.
Pour assurer une constance, CAA avait établi une liste de consignes que les conducteurs étaient tenus de respecter: température ambiante à 21 °C, climatisation en zone médiane, interdiction d’utiliser les sièges et le volant chauffants, ou encore le freinage régénératif, éviter les accélérations et les décélérations brusques, le tout sans excéder la vitesse autorisée de plus de 5 km/h. « On voulait avoir le moins de manipulation possible pour réduire la marge d’erreur », relate M. Labbé. À bord, un accompagnateur de l’organisation notait rigoureusement des informations (pourcentage de batterie restant, autonomie estimée et température extérieure) à chaque tranche de 50 km.
En plus de présenter des données concrètes sur la consommation d’une variété de VE, cette première Virée électrique CAA a aussi permis de mettre en évidence l’importance de comprendre les limites et les forces de chaque modèle. Un bilan, somme tout, positif, conclut M. Labbé. « J’ai bon espoir que ça va se refaire ailleurs au Canada. Ça serait intéressant de l’amener à un autre niveau. Est-ce qu’on pourrait, par exemple, fournir davantage de renseignements sur les véhicules (capacité de remorquage et de chargement, grandeur du coffre, etc.) pour faire un match comparatif, en plus de recueillir des informations plus détaillées sur les derniers kilomètres parcourus? » Dossier à suivre